La démocratisation de l’hygiène au XIXe siècle

Ce n’est pas un hasard si pour dépeindre la bourgeoisie conquérante du début du XIXe siècle, Balzac choisit avec César Biroteau un parfumeur épris de modernité et d’hygiène. Celui-ci va bâtir sa réussite sur une association avec un chimiste réputé, une publicité agressive et la vente de masse à un large public… En se contentant d’une marge bénéficiaire restreinte.

La révolution apportée par les molécules odorantes de synthèse favorise, en effet, une démocratisation des produits parfumés. Ce qui va de pair avec l’extension à de nouvelles couches de la population de pratiques hygiéniques restées jusque-là l’apanage d’une classe beaucoup plus restreinte.

Les parfums se synthétisent

L’Allemand Mitscherlich découvre, dès 1834, le nitrobenzine à odeur d’orange amère qui intègrera la panoplie des parfumeurs en 1849. William Henry Perkin obtient par voie synthétique le principe odorant de la fève Tonka, la coumarine, en 1868. Le musc artificiel est réalisé par Baur vers 1890 et Tiemann offre en 1898 aux parfumeurs l’ionone à odeur de violette. La première fabrique exclusivement consacrée à la chimie des parfums est créée, en 1878, par Georges de Laire. Il y produit, notamment, l’héliotropine à odeur d’héliotrope et le terpinéol qui imite la senteur du muguet.

Cette intrusion de la chimie dans la parfumerie est un puissant facteur de diffusion dans les classes modestes de produits de toilette qui étaient auparavant hors de leur portée. Parfumeurs et savonniers peuvent abaisser les prix de leurs articles et élargir leur clientèle. L’usage des eaux de Cologne, des vinaigres aromatiques, des eaux de toilette, des extraits pour mouchoir se généralise. Les plus modestes accèdent au savon parfumé. En 1864, Piver en vend cinq cents douzaines par jour.

L’hygiène n’est pas encore prise au sérieux

Mais, pour ce qui est de l’accès aux bains et à l’hygiène buccale, l’évolution ne va pas au même rythme. Les premières statistiques dressées dans les Annales des Ponts et Chaussées et les Annales d’Hygiène publique indiquent que les établissements de bains parisiens ont distribué six cent mille bains en 1819 pour une population de sept cent mille habitants. En 1850, on passe à deux millions de bains pour une population qui a presque doublé. Ces chiffres correspondent à moins d’un bain par an et par habitant au temps de Louis XVIII… Et à plus de deux, sous la république du prince-président.

L’hygiène n’est pas encore démocratisée

Quant à la répartition sociale de cette pratique d’hygiène, ces statistiques doivent encore être relativisées. En effet, sur cent-un établissements recensés en 1839, il apparaît que quatre-vingt-trois sont situés dans les quartiers les plus riches. Ceci implique clairement que le bain demeure avant tout une pratique bourgeoise. La situation est encore plus tranchée si l’on considère l’usage des bains privés. II existe certes, depuis 1820, des entreprises de bains portés à domicile. Mais ce service est d’un maniement peu commode… L’eau usée est évacuée dans la rue au moyen d’une pompe et de tuyaux passant par les fenêtres.

La propreté est la base de l’hygiène

Au milieu du siècle, les salles de bains sont encore inexistantes dans les immeubles bourgeois. Ils ne possèdent que de simples cabinets de toilette. Seuls les grands hôtels particuliers en sont systématiquement dotés. L’évolution semble s’amorcer à partir de 1880. Vers la fin du siècle, la révolution pasteurienne confie pourtant à l’eau un nouveau rôle… Celui d’effacer le microbe. La propreté est la base de l’hygiène, puisqu’elle consiste à éloigner de nous toute souillure et, par conséquent, tout. Mais, pour longtemps encore, la salle de bains de l’appartement bourgeois et la cabine de douches de l’établissement populaire différencient deux régimes de propreté.